on dit qu’il y a externalité lorsque
l’activité de consommation ou de production d’un agent a une influence sur le
bien-être d’un autre sans que cette interaction ne fasse l’objet d’une
transaction économique.
On
distingue les externalités négatives et les externalités positives.
La
pollution est l’exemple le plus typique d’externalité négative : lorsqu’une
usine pollue son environnement en rejetant des déchets, elle inflige une
nuisance aux habitants de la région. Cette pollution n’est pas nécessairement
attachée à des rejets toxiques, elle peut être visuelle (la construction d’un
équipement productif ou même de logements peut altérer la vue initiale des
riverains), sonore, ou de manière plus générale, modifier certains équilibres
naturels ce qui, indirectement, peut affecter le bien-être de certains agents
de l’économie.
L’encombrement
dû à la circulation automobile est un exemple d’externalité négative
réciproque : chaque automobiliste gêne son voisin de sorte que
l’augmentation de la circulation entraîne une congestion qui rend les
déplacements de plus en plus difficile.
On
parle d’externalité positive dans le cas où l’interaction aboutit à une
augmentation de bien-être. L’effet de norme ou de club est l’exemple
d’externalité positive réciproque : la valeur accordée par un consommateur à un
produit ou à un service augmente lorque le nombre de consommateurs de ce
produit ou service s’accroît. Ainsi en est-il par exemple du téléphone ou de la
télécopie: plus le réseau est étendu, plus nombreux sont les correspondants
accessibles et donc plus le raccordement devient intéressant pour un nouvel
abonné.
La caractéristique d’une externalité est de ne pas être associée à une transaction économique. Il en résulte que l’arbitrage présidant à la décision privée ne tient pas compte des coûts ou des avantages associés à l’externalité . Dans le cas d’une externalité négative cette omission aboutit à une sur-pollution. Dans le cas d’externalité positive cela conduit au contraire à une sous production.
Restaurer
l’efficacité suppose alors la mise en place d’instruments dont l’objectif est
d’internaliser l’externalité. C’est à dire des instruments susceptibles de
réintroduire les coûts ou avantages externes dans l’arbitrage privé.
Nous
allons examiner, pour le cas de la pollution, les différents instruments
envisageables.
Pour
fixer les idées, nous allons utiliser un modèle simple de pollution. Des
usines, en nombre K, sont installées au bord d’un lac et y déversent
des déchets qui détériorent la qualité de l’eau. La quantité de déchets
déversée par l’usine j est notée . La qualité de l’eau dépend de la quantité totale de déchets
déversés, où désigne la qualité de
l’eau pure. Sans aucune réglementation ou intervention publique, les
entreprises ne sont pas incitées à réduire leur pollution. Dans ce cas elles
déversent chacune une quantité de déchets égale à ce qui conduit à une
eau de mauvaise qualité . Pour les riverains du lac, la qualité de l’eau est un bien
public. Le consentement à payer du consommateur i pour
passer d’une eau de qualité à une eau de qualité
y est notée , le consentement marginal à payer correspondant sera noté .
Chaque
entreprise a d’autre part accès à une technologie de traitement de déchets qui
lui permet, moyennant un coût de dépollution, de rejeter moins de déchets dans
le lac. On supposera que le coût de dépollution pour passer d’une quantité de
rejet à une quantité q pour
l’entreprise j s’écrit
:
, supposée décroissante, s’interprète comme
le coût marginal de dépollution. Ce coût marginal est d’autant plus fort que la
quantité de rejets est faible : on traduit ainsi la difficulté croissante
inhérente à la dépollution.
Du
point de vue de l’efficacité collective il y a un double arbitrage à réaliser :
l’arbitrage entre le coût de dépollution et l’avantage de disposer d’eau plus
pure d’une part, et la répartition de la charge de dépollution entre les
différentes firmes d’autre part.
Il
est clair d’abord que le coût total de dépollution, pour un niveau donné de
rejets, doit être minimisé. Ceci impose donc que, pour chaque niveau total
donné de rejets q envisagé, les quantités de rejets des différentes
entreprises soient :
C’est
à dire telle que la répartition des rejets minimise le coût total.
Il
en résulte qu’on doit répartir la charge de dépollution de manière à égaliser
les coûts marginaux de dépollution :
Si
ce n’était pas le cas il serait toujours possible, à quantité totale de déchets
donnée, de diminuer le coût total en autorisant une augmentation des rejets de
l’entreprise ayant un coût marginal élevé compensée, à due concurrence, par une
diminution de ceux de l’entreprise ayant un coût marginal faible.
Si
l’on note :
le
coût total de dépollution, on a bien sûr, par le théorème de l’enveloppe :
Le
coût marginal total de dépollution (que l’on notera ) est égal, à l’optimum, au coût marginal commun de chacune
des entreprises.
Il
s’agit ensuite de déterminer le niveau efficace de pollution total. Clairement,
la qualité de l’eau est un bien public pour l’ensemble des consommateur.
L’Equation de BLS nous donne alors la solution : la quantité efficace de rejets
est solution de :
Spontanément,
il n’y a aucune incitation, pour les entreprises, à entreprendre une réduction
de leur émission de déchets. Quels instruments sont susceptibles de les
responsabiliser?
La
première idée serait d’appliquer le principe “ pollueur -payeur ” en
taxant les entreprises en fonction de la quantité de déchets déversés. C’est
là, en quelque sorte, un instrument d’intéressement “ négatif ” : la
pollution est sanctionnée.
La seconde solution consisterait à
subventionner la dépollution. C’est plutôt là un instrument d’intéressement
“ positif ” : la dépollution est récompensée.
Ces
différentes solutions correspondent comme on le verra un peu plus loin à une
répartition implicite des droits de propriété sur le “ bien public ”
environnement.
Examinons
plus généralement l’incidence d’un instrument mixte comprenant, une taxe
linéaire à la pollution , et une subvention affine à la dépollution comportant une
partie forfaitaire et une partie proportionnelle au coût de dépollution, .
Face
à un tel instrument, la firme j choisit un niveau de rejet qui minimise
le coût restant à sa charge :
c’est
à dire vérifiant :
Comment
faire alors pour que la décision de l’entreprise soit efficace? Un simple coût
d’oeil suffit pour remarquer qu’en fixant les paramètres fiscaux de manière à
avoir , où est le niveau
efficace déterminé dans le paragraphe précédent, alors la puissance publique
incite chaque entreprise à choisir le comportement optimal. En choisissant les paramètre
fiscaux de cette manière, l’Etat incite chaque entreprise à un comportement
efficace.
Il
faut remarquer cependant que la fixation du schéma fiscal optimal est fortement
conditionné par l’information dont dispose la puissance publique : il faut, d’après
les équations précédentes, que la puissance publique soit en mesure de calculer
ou de manière
équivalente, qu’elle puisse résoudre l’équation de BLS associée au problème.
Par
ailleurs, taxe et subvention apparaissent comme instruments substituts au sens
où un niveau élevé de la taxe implique un niveau faible de la subvention. Pour , on obtient l’application du seul principe
“ pollueur-payeur ” et le niveau de taxe doit être égal au coût
marginal de dépollution, c’est à dire à l’optimum exactement égal à la valeur
de la perte de bien-être associée à une pollution supplémentaire. Au contraire
le choix d’une subvention élevée implique un niveau de taxe faible. De manière
schématique on voit que le dosage entre les différents paramètres fiscaux
induit une répartition différente du surplus dégagé par rapport à la situation
initiale : la taxation se fait au détriment des entreprises, la subvention à
son profit.
Une
autre façon d’interpréter cet effet redistributif consiste à considérer la
situation initiale (pollution maximale) comme une configuration dans laquelle
les droits de propriété sur un bien, l’environnement, font défaut. Si l’on spécifie, par exemple, que l’environnement
“ appartient ” de plein droit aux consommateurs, alors ceux-ci sont
en mesure de “ monnayer ” l’usage de cet environnement comme
réceptacle à déchets. La taxe s’interprète ici comme le prix de cet usage. Au
contraire, si l’on spécifie que l’environnement “ appartient ” au
secteur productif, celui-ci est en mesure de “ vendre ” la qualité de
l’eau, et c’est la subvention qui joue ce rôle. Certains auteurs (...)
affirment que le problème des externalités est en fait causé par l’absence de
droits de propriété clairement définis sur certains biens. Si le comportement
d’un agent influence le bien-être d’un autre sans qu’il y ait transaction,
c’est que la victime ne peut pas institutionnellement faire valoir un droit
à “ ne pas être gêné ”
ce qui peut dans de nombreux cas se traduire par un droit sur la propriété du
“ vecteur ” de l’externalité : l’air, l’eau, le paysage...
Reprenons
l’exemple des entreprises au bord du lac. Supposons que les consommateurs sont
représentés par la puissance publique et généralisons l’idée de droit de
propriété sur l’environnement de la façon suivante. La ressource
environnementale est caractérisée, ex ante, avant toute intervention, par une eau pure de qualité . Polluer revient à consommer ce capital initial, à en
affecter une partie à l’activité industrielle. Partager le droit de propriété
sur l’eau revient à répartir entre les entreprises
et les consommateurs et à faire de cette répartition l’allocation initilale de
l’économie. Notons la part de la
propriété qui revient à la firme j. Cela veut simplement dire que la firme j a
un droit initial de pollution justement égal à . Il en résulte alors en procédant de même pour toutes les
entreprises, que la part qui revient au consommateur est . Nous sommes alors en présence d’une économie où le bien
“ environnement ” fait l’objet de dotations initiales comme tout
autre bien de l’économie.
Imaginons
alors le résultat d’un mécanisme de marché où les agents échangent leurs droit
d’usage (c’est à dire ici de propriété) sur l’environnement.
Soit
p le prix d’une unité (qui correspond, compte tenu des hypothèses, à une
unité de pollution) de ce bien “ environnement ”. La variation de
bien être des consommateurs lorsqu’on passe de la situation initiale à une
situation où la pollution totale est égale à q vaut :
La
variation de profit de l’entreprise j :
La
maximisation des ces deux grandeurs donnent les fonctions d’offre et de demande
de droit d’usage de l’environnement dans cette économie fictive :
les
consommateurs émettent une demande d’environnement telle qu’il y ait égalité
entre prix et consentement marginal global à payer. Les firmes, elles,
arbitrent entre les économies qu’elles peuvent faire en terme de dépollution et
le prix d’usage de l’environnement, leur demande d’environnement est telle
qu’il y a égalité entre le prix associé à l’usage de l’environnement et le coût
marginal de dépollution.
L’équilibre
concurrentiel de ce marché débouche alors sur l’allocation efficace du
paragraphe précédent:
Par rapport à la situation initiale sans
droit de propriété, la répartition du surplus total est donnée par :
pour
les consommateurs:
et
pour chacun des producteurs : .
La
répartition des droits initiaux est en fait équivalente à une répartition ex
post du surplus par rapport à la situation sans droits. Si par exemple on
impose , ce qui revient, dans l’économie fictive, à “ privatiser ” le lac au profit
des entreprises, tout se passe comme si dans l’économie réelle on
subventionnait les entreprises pour qu’elles dépolluent. Si au contraire on
suppose que , ce qui revient à “ communaliser ” le lac, le
résultat est équivalent à la taxation de la pollution.
Comment
mettre en oeuvre, dans l’économie réelle, la distribution des droits de
propriété initiale? Clairement, tout repose sur la création d’un nouveau bien
“ droit d’usage d’une unité d ’environnement ” échangé sur un
marché. Compte tenu de la “ technologie linéaire ” de pollution,
c’est équivalent à créer un marché des droits à polluer. Une unité de ce
nouveau bien donne droit à son détenteur à déverser une unité de déchets dans
le lac. La section précédente peut alors être réinterprétée en terme de marché
de droit. La distribution initiale des droits à polluer correspond à la
distribution initiale des droits de propriété sur l’environnement. On voit
alors que la répartition finale du surplus résultant de la baisse de pollution
dépend crucialement de la répartition initiale des droits. Remarquons enfin que
l’efficacité de ces instruments repose aussi sur la capacité de l’Etat à se
substituer à l ’ensemble des consommateurs en émettant un consentement
marginal à payer la qualité égal à la somme des consentements individuels. Si
l’Etat n’est pas en mesure de calculer ce consentement social, alors le
problème d’externalité se double d’un problème de bien (ici plutôt de mal)
public.