T22

Chapitre 2 : Théorie des Contrats

 

Partie 2 : Auto-sélection

 

1.      Introduction

 

Les modèles d’auto-sélection sont ceux les plus connus de la théorie des contrats. Leur popularité tient au fait qu’ils peuvent avoir de multiples applications concrètes dans le domaine du marketing en particulier. Il suffit, en effet d’observer autour de soi  la multiplication d’offres tarifaires à la carte, de tarifs non linéaires, où le consommateur choisit la formule qui lui convient le mieux. A quel phénomène économique correspond cette tendance ? Pourquoi s’éloigne-t-on de l’application pure et simple d’un prix unique ? Comment concevoir de manière optimale le bon menu tarifaire ?

 

Anti-sélection

L’un des exemples les plus éclairants concerne le marché de l’assurance, et en particulier celui de la garantie automobile. Dans ce domaine, l’expérience quotidienne montre que tous les assurés ne sont pas identiques du point de vue du risque : il y a les bons conducteurs, qui n’ont que rarement des accidents et des mauvais qui en ont fréquemment. Bien sûr, le coût pour l’assureur n’est pas le même, et idéalement, il faudrait faire payer des prix (ici des primes) différents à chaque catégorie d’assuré : pour la même garantie, la cotisation est différente. Tout va bien si l’assureur peut repérer le risque, peut distinguer entre les deux types de conducteurs. Tout va bien en particulier s’il existe des « variables observables » qui permettent de « prédire » si le client est bon ou mauvais. Que se passe-t-il sinon ?  Que faire dans le cas où les clients sont indiscernables ?  Proposer deux contrats ayant les mêmes garanties mais l’un étant moins cher que  l’autre s’avère complètement loufoque : tous les clients vont se précipiter sur le moins cher, comme s’ils étaient tous des très bons conducteurs. Dans le catalogue, un seul contrat est choisi, par les bons comme par les mauvais conducteurs ! L’assureur, qui avait initialement ajusté la prime sur le risque des bons, doit augmenter la cotisation, ce qui peut, en retour, décourager les bons risques de s’assurer ! Le résultat de ce déficit d’information est clair : les bons risques sont moins bien assurés et l’assurance est chère (puisque son prix s’ajuste sur les mauvais). On parle ici d’anti-sélection ou de sélection contraire (en anglais adverse selection).

 

Un article de vulgarisation : ici

Auto-sélection

Quels instruments sont-ils susceptibles de limiter les effets désastreux de l’anti-sélection ? L’idée de base, pour répondre à cette question, est extrêmement simple : il faut proposer un menu de contrats dans lequel les prix mais aussi les garanties sont variables. Imaginons que l’assureur propose deux contrats. Le premier, cher, propose une garantie complète, le second, moins cher, comporte une franchise (coût du sinistre restant à la charge de l’assuré).  Le mauvais conducteur, entre ces deux contrats, doit faire un arbitrage qui n’est plus aussi évident que lorsque les garanties étaient identiques. S’il prend le contrat avec franchise, certes moins cher, il court le risque de devoir en être de sa poche très souvent, et ce qu’il gagne en cotisation il le reperd en franchise. Le bon conducteur, lui n’a pas d’hésitatiion, c’est le moins cher qui lui convient : il n’aura que très peu souvent à payer de sa poche. On comprend dès lors que l’on peut ajuster primes et franchise de manière à obtenir l’auto-sélection des clients.

 

 

2.      Mécanisme

 

Schématiquement , la relation économique est celle d’un « principal » qui fait face à un « agent » qui dispose d’une information privilégiée.

 

Notations : information, transaction

On note une transaction (par exemple y est le couple « quantité, facture » =(q,p)).  L’utilité que l’agent accorde à une transaction y donnée, dépend d’un paramètre q , « le type » , qui  caractérise l’intérêt de l’agent pour la transaction. On note   cette utilité,  et  l’ensemble des types possibles. Il existe une distribution a priori des types, c'est-à-dire une densité de probabilité sur , notée dF(q)=f(q)dq.

 

L’asymétrie d’information concerne le paramètre d’intérêt q. En information complète, le principal observe q, son offre ne laisse pas le choix à l’agent  entre plusieurs transactions : à chaque q correspond  une transaction donnée, et un agent de type q  ne peut en aucun cas prétendre à une transaction qui serait celle destinée à un agent de type q’. En information incomplète, le principal qui n’observe pas q, ne peut compter que sur l’auto-sélection des agents : il va proposer un menu de contrats, laissant  l’agent choisir parmi toutes les options proposées. Il existe plusieurs façons équivalentes de représenter de  tels menus.  Un sous-ensemble quelconque de l’ensemble des transactions est « un menu ».  De la même manière, un tarif non linéaire est un menu. Nous présentons ici successivement plusieurs perspectives équivalentes : mécanismes, mécanismes directs révélateurs, tarifs.

 

 

 

Définition : Mécanisme

Soit M un ensemble (appelé espace des messages). Un mécanisme y(.) est une application de M dans Y qui à un message fait correspondre une transaction y(m). L’idée d’un mécanisme est la suivante : le principal propose un mécanisme, l’agent choisit le message m qui lui convient le mieux.

 

L’espace des « messages » est une notion abstraite qui peut être illustrée de manière concrète de façon très simple. Par exemple, au restaurant chinois, les plats sont repérés par un numéro. Le mécanisme est le suivant : le client donne le numéro (message) de son plat préféré (par exemple le canard laqué, à 7 euros, qui a le numéro 23), le serveur appliquera alors la transaction  y(23)= (canard laqué, 7€ ).

 

Définition : meilleure réponse

Etant donné un mécanisme y(.), on appelle meilleure réponse l’application (ou correspondance) qui à chaque type q  fait correspondre le message optimal :

 

Définition : mécanisme direct

On dit que le mécanisme est direct lorsque, l’espace des messages est confondu à l’espace des types.

 

Principe de révélation

Si l’allocation peut être obtenue par un mécanisme (c'est-à-dire si à l’issue du mécanisme, l’agent de type q, obtient la transaction ) , elle peut être obtenue par un mécanisme direct dans lequel l’agent a intérêt à répondre la vérité (mécanisme direct révélateur).

 

Démonstration :

Dire que peut être obtenue par le mécanisme y (.)  signifie : . Soit alors le mécanisme direct (.). Par définition de m*, la meilleure réponse de l’agent est de répondre la vérité sur son type. En effet, on a : . Ceci implique en particulier ,  .

 

Définition :  Tarif

Un tarif est simplement une famille T de transactions y dans Y.

 

 

3.      Incitation et participation

 

 

Que l’on propose un mécanisme, un mécanisme direct ou un tarif, on peut directement noter   la transaction choisie par l’agent de type q dans l’offre du principal :

 

ou bien alternativement :

ou bien encore :

 

Conditions  d’incitation

On a alors, les conditions dites d’incitation (IC) :

 (ICqq)

Grace au théorème de l’enveloppe on a (de manière équivalente) :

en posant

 

Par ailleurs, il est clair que l’agent peut refuser toutes les offres du principal. En cas d’absence de transaction, on note , le niveau d’utilité que peut atteindre l’agent en dehors de sa relation avec le principal.

 

Conditions de participation

Pour s’assurer que l’agent acceptera l’offre il est nécessaire d’avoir :

 (IRq).

 

Le problème du principal est de proposer le mécanisme (ou le tarif T) qui maximise son propre objectif (par exemple son profit). Il doit ainsi confectionner son catalogue de manière à optimiser son objectif.

 

Problème du principal

Le problème du principal est donc de trouver la fonction  qui maximise l’espérance de son objectif sous les contraintes d’incitation et de participation.

 

4.      Un exemple simple

Considérons par exemple le cas d’une relation entre un vendeur et un acheteur qui porte sur un bien (par exemple une bouteille de vin) dont la qualité peut être variable. On repère par q la qualité (observable et vérifiable) du bien. L’acheteur est caractérisé par son « consentement à payer la qualité ». Pour fixer les idées on suppose que ce consentement est le produit de l’indice de qualité q par un paramètre q  (réel positif). La valeur de q q représente ainsi la somme maximale qu’est prêt à payer un individu de type q pour une bouteille de qualité q.

 

On suppose de plus qu’il existe deux types d’acheteurs : , les « amateurs »  (de type ) et les « gourmets »  (de type , ). A priori il existe une proportion (ou une probabilité) lB d’amateurs et une proportion lH=1-lB de gourmets.

 

Pour le vendeur le coût d’une bouteille de qualité q est égal à C(q),  fonction croissante convexe avec C(0)=0 (par exemple C(q)=q2/2).

Si le prix de la bouteille est p, on a donc avec les notations précédentes :,  et .

 

Information complète

 

Supposons (par extraordinaire, ou par une étude de marché qui corrèle caractéristique observable à q), que le vendeur puisse observer q.

 

L’offre optimale du principal est alors la solution du problème suivant :

, C'est-à-dire

 avec  i=B ou H.

 

La transaction est efficace : c’est celle qui procure le surplus maximal, surplus qui est intégralement capturé par le principal.

 

Sur le graphique suivant on a représenté en abscisse la qualité et en ordonnée le prix. Les contrats d’information complète sont représentés par les points rouge (H) et bleu (B).

 

Remarquons que le surcroît de prix à payer pour passer de la bouteille B à la bouteille H rapporté à l’incrément en qualité (c’est-à-dire la pente du segment qui relie les deux points), sorte de prix incrémental de la qualité,  est supérieur à qH qui est le prix maximal (par unité de qualité) qu’est prêt à payer le gourmet !

 

Information Incomplète

 

Supposons maintenant que le vendeur ne puisse pas observer q. A-t-il intérêt à offrir le même « catalogue » de produits qu’en information complète ? La réponse est simple. L’acheteur ayant le choix entre les deux bouteilles précédentes préférera, quel que soit son type, la bouteille B ! La bouteille H est relativement trop chère ! Formellement : .

La question est de savoir si le principal peut faire mieux. Autrement dit, quel est le catalogue « optimal » que le vendeur doit proposer ?

 

Imaginons que le principal propose un catalogue donné. L’acheteur choisit dans ce catalogue l’offre qui lui convient le mieux (ce choix pouvant être d’ailleurs de ne rien acheter). Le point essentiel au raisonnement est que le vendeur peut anticiper ce choix. En effet, appelonsla bouteille choisie par B et , celle choisie par H dans ce catalogue (éventuellement qi=pi=0). On a, par définition :

 

Ces inégalités expriment simplement que dans le catalogue réduit à deux bouteilles, H préfère la bouteille H et B préfère la bouteille B ! (IC est l’acronyme correspondant à l’anglais « incentive compatibility »).

 

Par ailleurs on a évidemment :

 

 

Ces inégalités exprimant, elles, le fait que la bouteille choisie ne peut pas procurer une satisfaction inférieure à celle de l’absence d’achat (I.R correspond à « individual rationality »).

 

Sur le graphique suivant on a représenté un catalogue vérifiant ces 4 inégalités. La satisfaction croit lorsqu’on se déplace vers le Sud Est (bouteille de meilleure qualité pour moins cher !), les droites rouges et bleues correspondent à des bouteilles indifférentes pour le type H et le type B.

 

A ce point du raisonnement, on peut remarquer que le vendeur peutl se contenter d’offrir un catalogue ne comprenant que deux types de bouteilles.

 

Le problème du principal est alors très simple : trouver et  qui maximisent l’espérance de bénéfice, sachant que l’offre doit satisfaire les 4 inégalités précédentes :

 

 

Ce problème peut être facilement résolu moyennant plusieurs remarques :

 

En effet, sinon on aurait:

 et

Le principal pourrait augmenter simultanément les deux prix d’un montant strictement positif inférieur à , tout en satisfaisant l’ensemble des inégalités.

En effet, sinon, on aurait :

 et

Le principal pourrait augmenter pH d’un montant strictement positif tout en satisfaisant l’ensemble des inégalités.

En effet, il suffit d’ajouter membre à membre les inégalités IC pour obtenir :

En effet la remarque 2 permet d’écrire :

Et donc, en utilisant la remarque 3 :

De même :

 

On en déduit que le problème du principal peut être réécrit :

 

Problème réduit

 

 

Soit encore :

 

On peut réécrire le programme déterminant (qi) :

 

Les conditions du premier ordre de ce programme (en ignorant l’inégalité) donnent :

 

 

Alors qu’en information complète nous avions :

     

     

 

Plusieurs remarques doivent être faites :

-          La qualité de la bouteille H est le même qu’en information complète. En revanche son prix est plus faible. On dit que l’asymétrie d’information n’introduit pas de distorsion (de qualité) en « haut » (no distorsion on the top).

-          La qualité de la bouteille B est, quant à elle, dégradée par rapport au cas d’information complète.

-          Quand la proportion de H est suffisamment élevée , le principal peut avoir intérêt à ne proposer qu’une catégorie de bouteille : on dit qu’il pratique l’écrémage.

-          L’acheteur de type H obtient un surplus strictement positif  (sauf lorsqu’il y a écrémage): c’est ce qu’on appelle la rente informationnelle.