Les modèles d’auto-sélection
sont ceux les plus connus de la théorie des contrats. Leur popularité tient au
fait qu’ils peuvent avoir de multiples applications concrètes dans le domaine
du marketing en particulier. Il suffit, en effet d’observer autour de soi
la multiplication d’offres tarifaires à la carte, de tarifs non linéaires, où le consommateur
choisit la formule qui lui convient le mieux. A quel phénomène économique
correspond cette tendance ? Pourquoi s’éloigne-t-on de l’application pure
et simple d’un prix unique ? Comment concevoir de manière optimale le bon
menu tarifaire ?
L’un des exemples
les plus éclairants concerne le marché de l’assurance, et en particulier celui
de la garantie automobile. Dans ce domaine, l’expérience quotidienne montre que
tous les assurés ne sont pas identiques du point de vue du risque : il y a
les bons conducteurs, qui n’ont que rarement des accidents et des mauvais qui
en ont fréquemment. Bien sûr, le coût pour l’assureur n’est pas le même, et
idéalement, il faudrait faire payer des prix (ici des primes) différents à
chaque catégorie d’assuré : pour la même garantie, la cotisation est
différente. Tout va bien si l’assureur peut repérer le risque, peut distinguer
entre les deux types de conducteurs. Tout va bien en particulier s’il existe
des « variables observables » qui permettent de « prédire »
si le client est bon ou mauvais. Que se passe-t-il sinon ? Que faire dans le cas où les clients sont
indiscernables ? Proposer deux
contrats ayant les mêmes garanties mais l’un étant moins cher
que l’autre s’avère complètement
loufoque : tous les clients vont se précipiter sur le moins cher, comme
s’ils étaient tous des très bons conducteurs. Dans le catalogue, un seul
contrat est choisi, par les bons comme par les mauvais conducteurs !
L’assureur, qui avait initialement ajusté la prime sur le risque des bons, doit
augmenter la cotisation, ce qui peut, en retour, décourager les bons risques de
s’assurer ! Le résultat de ce déficit d’information est clair : les
bons risques sont moins bien assurés et l’assurance est chère (puisque son prix
s’ajuste sur les mauvais). On parle ici d’anti-sélection ou de sélection
contraire (en anglais adverse selection).
Un article de
vulgarisation : ici
Quels instruments
sont-ils susceptibles de limiter les effets désastreux de
l’anti-sélection ? L’idée de base, pour répondre à cette question, est
extrêmement simple : il faut proposer un menu de contrats dans lequel les
prix mais aussi les garanties sont variables. Imaginons que l’assureur
propose deux contrats. Le premier, cher, propose une garantie complète, le
second, moins cher, comporte une franchise (coût du sinistre restant à la
charge de l’assuré). Le mauvais conducteur,
entre ces deux contrats, doit faire un arbitrage qui n’est plus aussi évident
que lorsque les garanties étaient identiques. S’il prend le contrat avec
franchise, certes moins cher, il court le risque de devoir en être de sa poche
très souvent, et ce qu’il gagne en cotisation il le reperd en franchise. Le bon
conducteur, lui n’a pas d’hésitatiion, c’est le moins cher qui lui
convient : il n’aura que très peu souvent à payer de sa poche. On comprend
dès lors que l’on peut ajuster primes et franchise de manière à obtenir l’auto-sélection
des clients.
Schématiquement ,
la relation économique est celle d’un « principal » qui fait face à
un « agent » qui dispose d’une information privilégiée.
On note une transaction (par exemple y est le couple « quantité,
facture » =(q,p)). L’utilité que l’agent accorde à une
transaction y donnée,
dépend d’un paramètre q , « le type » , qui caractérise l’intérêt de l’agent pour la
transaction. On note
cette utilité, et
l’ensemble des types
possibles. Il existe une distribution a priori des types, c'est-à-dire une
densité de probabilité sur
, notée dF(q)=f(q)dq.
L’asymétrie
d’information concerne le paramètre d’intérêt q. En information
complète, le principal observe q, son
offre ne laisse pas le choix à l’agent entre plusieurs
transactions : à chaque q correspond
une transaction donnée, et un agent de type q
ne peut en aucun cas prétendre à une transaction qui serait celle
destinée à un agent de type q’.
En information incomplète, le
principal qui n’observe pas q, ne peut compter que sur l’auto-sélection
des agents : il va proposer un menu de contrats, laissant l’agent choisir parmi toutes les options
proposées. Il existe plusieurs façons équivalentes de représenter de tels menus.
Un sous-ensemble quelconque de l’ensemble des transactions est « un
menu ». De la même manière, un
tarif non linéaire est un menu. Nous présentons ici successivement plusieurs
perspectives équivalentes : mécanismes, mécanismes directs révélateurs,
tarifs.
Soit M un ensemble (appelé espace des messages).
Un mécanisme y(.) est
une application de M
dans Y qui à un message
fait correspondre une transaction y(m). L’idée d’un mécanisme est la suivante : le principal
propose un mécanisme, l’agent choisit le message m qui lui convient le mieux.
L’espace des
« messages » est une notion abstraite qui peut être illustrée de
manière concrète de façon très simple. Par exemple, au restaurant chinois, les
plats sont repérés par un numéro. Le mécanisme est le suivant : le client
donne le numéro (message) de son plat préféré (par exemple le canard laqué, à 7
euros, qui a le numéro 23), le serveur appliquera alors la transaction y(23)= (canard laqué, 7€ ).
Etant donné un
mécanisme y(.), on
appelle meilleure réponse l’application (ou correspondance) qui à chaque type q fait correspondre le message optimal :
On dit que le
mécanisme est direct lorsque, l’espace des messages est confondu à l’espace des types.
Si l’allocation peut être obtenue par un mécanisme (c'est-à-dire si à l’issue
du mécanisme, l’agent de type q, obtient la transaction
) , elle peut être obtenue par un mécanisme direct
dans lequel l’agent a intérêt à répondre la vérité (mécanisme direct
révélateur).
Démonstration :
Dire que peut être obtenue par le mécanisme y (.)
signifie :
. Soit alors le mécanisme direct
(.). Par définition de m*, la meilleure réponse de l’agent est de
répondre la vérité sur son type. En effet, on a :
. Ceci implique en particulier ,
.
Un tarif est
simplement une famille T
de transactions y dans Y.
Que l’on propose un
mécanisme, un mécanisme direct ou un tarif, on peut directement
noter la transaction
choisie par l’agent de type q dans l’offre du principal :
ou bien
alternativement :
ou bien
encore :
On a alors, les
conditions dites d’incitation (IC) :
(ICqq’)
Grace au
théorème de l’enveloppe on a (de manière équivalente) :
en posant
Par ailleurs, il
est clair que l’agent peut refuser toutes les offres du principal. En cas
d’absence de transaction, on note , le niveau d’utilité que peut atteindre l’agent en dehors de
sa relation avec le principal.
Pour s’assurer
que l’agent acceptera l’offre il est nécessaire d’avoir :
(IRq).
Le problème du
principal est de proposer le mécanisme (ou le tarif T) qui maximise son propre objectif (par
exemple son profit). Il doit ainsi confectionner son catalogue de manière à
optimiser son objectif.
Le problème du
principal est donc de trouver la fonction qui maximise
l’espérance de son objectif sous les contraintes d’incitation et de
participation.
Considérons par
exemple le cas d’une relation entre un vendeur et un acheteur qui porte sur un
bien (par exemple une bouteille de vin) dont la qualité peut être variable. On
repère par q la qualité
(observable et vérifiable) du bien. L’acheteur est caractérisé par son
« consentement à payer la qualité ». Pour fixer les idées on suppose
que ce consentement est le produit de l’indice de qualité q par un paramètre q
(réel positif). La valeur de q q représente
ainsi la somme maximale qu’est prêt à payer un individu de type q
pour une bouteille de qualité q.
On suppose de plus
qu’il existe deux types d’acheteurs : , les « amateurs »
(de type
) et les « gourmets » (de type
,
). A priori il existe une proportion (ou une probabilité) lB d’amateurs et une proportion lH=1-lB de gourmets.
Pour le vendeur le
coût d’une bouteille de qualité q est
égal à C(q),
fonction croissante convexe avec C(0)=0 (par exemple C(q)=q2/2).
Si
le prix de la bouteille est p,
on a donc avec les notations précédentes :,
et
.
Supposons (par
extraordinaire, ou par une étude de marché qui corrèle caractéristique
observable à q), que le vendeur puisse observer q.
L’offre optimale du
principal est alors la solution du problème suivant :
,
C'est-à-dire
avec
i=B ou H.
La transaction est
efficace : c’est celle qui procure le surplus maximal, surplus qui est
intégralement capturé par le principal.
Sur le graphique
suivant on a représenté en abscisse la qualité et en ordonnée le prix. Les
contrats d’information complète sont représentés par les points rouge (H) et
bleu (B).
Remarquons que le
surcroît de prix à payer pour passer de la bouteille B à la bouteille H rapporté à l’incrément en qualité
(c’est-à-dire la pente du segment qui relie les deux points), sorte de prix
incrémental de la qualité, est
supérieur à qH qui est le prix maximal (par unité de
qualité) qu’est prêt à payer le gourmet !
Supposons
maintenant que le vendeur ne puisse pas observer q.
A-t-il intérêt à offrir le même « catalogue » de produits qu’en
information complète ? La réponse est simple. L’acheteur ayant le choix
entre les deux bouteilles précédentes préférera, quel que soit son type, la
bouteille B ! La
bouteille H est
relativement trop chère ! Formellement : .
La question est de
savoir si le principal peut faire mieux. Autrement dit, quel est le catalogue
« optimal » que le vendeur doit proposer ?
Imaginons que le
principal propose un catalogue donné. L’acheteur choisit dans ce catalogue
l’offre qui lui convient le mieux (ce choix pouvant être d’ailleurs de ne rien
acheter). Le point essentiel au raisonnement est que le vendeur peut anticiper
ce choix. En effet, appelonsla bouteille choisie par B et
, celle choisie par H dans ce catalogue (éventuellement qi=pi=0). On a, par définition :
Ces inégalités
expriment simplement que dans le catalogue réduit à deux bouteilles, H préfère la bouteille H et B préfère la bouteille B ! (IC
est l’acronyme correspondant à l’anglais « incentive
compatibility »).
Par ailleurs on a
évidemment :
Ces inégalités
exprimant, elles, le fait que la bouteille choisie ne peut pas procurer une
satisfaction inférieure à celle de l’absence d’achat (I.R correspond à « individual
rationality »).
Sur le graphique
suivant on a représenté un catalogue vérifiant ces 4 inégalités. La
satisfaction croit lorsqu’on se déplace vers le Sud Est (bouteille de meilleure
qualité pour moins cher !), les droites rouges et bleues correspondent à
des bouteilles indifférentes pour le type H et le type B.
A ce point du
raisonnement, on peut remarquer que le vendeur peutl se contenter d’offrir un
catalogue ne comprenant que deux types de bouteilles.
Le problème du
principal est alors très simple : trouver et
qui maximisent
l’espérance de bénéfice, sachant que l’offre doit satisfaire les 4 inégalités
précédentes :
Ce problème peut
être facilement résolu moyennant plusieurs remarques :
En effet, sinon on aurait:
et
Le
principal pourrait augmenter simultanément les deux prix d’un montant
strictement positif inférieur à , tout en satisfaisant l’ensemble des inégalités.
En effet, sinon, on aurait :
et
Le
principal pourrait augmenter pH d’un montant strictement positif tout en
satisfaisant l’ensemble des inégalités.
En effet, il suffit d’ajouter membre à membre les inégalités IC pour obtenir :
En
effet la remarque 2 permet d’écrire :
Et donc, en utilisant la remarque 3 :
De même :
On en déduit que le
problème du principal peut être réécrit :
Soit encore :
On peut réécrire le
programme déterminant (qi) :
Les conditions du
premier ordre de ce programme (en ignorant l’inégalité) donnent :
Alors
qu’en information complète nous avions :
Plusieurs remarques
doivent être faites :
-
La qualité de
la bouteille H est le
même qu’en information complète. En revanche son prix est plus faible. On dit
que l’asymétrie d’information n’introduit pas de distorsion (de
qualité) en « haut » (no distorsion on the top).
-
La qualité de
la bouteille B est,
quant à elle, dégradée par rapport au cas d’information complète.
-
Quand la
proportion de H est
suffisamment élevée , le principal peut avoir intérêt à ne proposer qu’une
catégorie de bouteille : on dit qu’il pratique l’écrémage.
-
L’acheteur de
type H obtient un
surplus strictement positif (sauf lorsqu’il y a écrémage): c’est ce qu’on
appelle la rente informationnelle.